3 QUESTIONS À...


1/ Pourquoi avoir choisi d'étudier le dispositif des Medicaid Behavioral Health Homes (BHH) mis en place depuis une dizaine d'années aux Etats-Unis ?

Les personnes vivant avec des troubles psychiques sévères souffrent plus fréquemment de maladies chroniques somatiques, telles que le diabète et les troubles cardiovasculaires. Leur espérance de vie est réduite en moyenne de quinze à vingt ans et leur risque de décès est deux fois supérieur à celui de la population générale. Si les causes de ces comorbidités et de cette surmortalité sont multifactorielles, ces constats suggèrent néanmoins une inadéquation des prises en charge existantes : en effet, la plupart des pays se caractérisent par une fragmentation des soins de santé mentale et physique, qui sont souvent financés et délivrés séparément. Cette situation ne favorise pas un bon accès aux soins, notamment en termes de prévention, ni une bonne coordination entre les professionnels de santé. Dans ce contexte, un mouvement international récent soutient des dispositifs de soins intégrés dits « inversés » : la délivrance des soins primaires se fait au sein de structures spécialisées en santé mentale, qui sont souvent le principal point de contact avec le système de santé des personnes vivant avec un trouble psychique sévère, dans une approche globale de la santé centrée sur les individus. C'est l'approche privilégiée depuis une dizaine d'années aux États-Unis, à travers le modèle des Behavioral Health Homes (BHH), et ses enseignements s'avèrent précieux pour la France.

2/ Pouvez-vous nous décrire plus en détail les Medicaid BHH et les principaux résultats des évaluations de ce modèle ?

Notre étude présente une synthèse des évaluations de ce dispositif, qui a été soutenu par la loi Obamacare de 2010. Les Medicaid BHH proposent un suivi de l'état de santé physique des personnes vivant avec un trouble psychique sévère au sein de structures ambulatoires spécialisées en santé mentale, où ces personnes sont suivies dans la communauté. Ce modèle repose sur la présence d'un infirmier salarié avec un rôle de coordination des soins, puisque ces structures travaillent en partenariat avec un professionnel de soins primaires - soit un médecin, soit l'équivalent d'un infirmier de pratique avancée - autour de missions prédéfinies telles que la promotion de la santé, la réalisation de bilans, l'orientation vers des spécialistes… Les premières évaluations en vie réelle sont encourageantes : on a constaté dans cette population un recours plus fréquent aux soins primaires, un meilleur dépistage et suivi des pathologies somatiques et de leurs facteurs de risque, comme la mesure de la pression artérielle. C'est un prérequis essentiel pour améliorer la santé physique de cette population, et cela est très prometteur vu les fortes difficultés qu'elle rencontre pour bénéficier d'un suivi adapté en médecine générale. Toutefois, pour avoir des effets à long terme, ce type de dispositif doit être soutenu par un financement pérenne qui encourage la collaboration entre les professionnels de santé, l'augmentation du personnel dédié au sein des structures ambulatoires spécialisées en santé mentale et des investissements dans le recueil et l'échange de données.

3/ Quels sont les principaux enseignements de ce modèle pour la France ?

La surmortalité persistante des personnes vivant avec un trouble psychique sévère ne doit plus être considérée comme un phénomène inéluctable. Elle est en partie liée à des prises en charge inadéquates au sein des systèmes de santé, sur lesquelles il est possible d'agir. Le modèle des Medicaid BHH apporte des éclairages essentiels pour la France puisqu'il montre l'intérêt de ce type de dispositif pour favoriser l'accès aux soins primaires de cette population. Ce constat pousse à un nouveau paradigme national renforçant la place pivot des Centres médico-psychologiques (CMP), dans le cadre d'une approche globale de la prise en charge de ces personnes. Il est possible de s'appuyer sur des initiatives inspirantes émergeant au sein de CMP, qui gagneraient à être évaluées afin de garantir leur généralisation et leur pérennisation. L'enjeu est également de ne pas en faire reposer la dynamique uniquement sur les professionnels de santé, dans un contexte national où le système de santé manque de maturité dans les démarches d'intégration des soins et d'approche centrée sur les patients.